Le Silence
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Dennis Lehane
Le Silence est une réussite.
La communication à la sortie du livre a été forte. En effet, de nombreux médias ont parlé de ce nouveau roman. Et à juste titre ! Le nouveau Dennis Lehane, l’attente était forte. Et je vous le dis sans attendre : les réactions sont entièrement justifiées, nous avons ici un grand roman américain.
Le Silence
Le sujet apparait d’actualité dans une Amérique où les tensions raciales semblent s’être renforcées.
Dans Le Silence, nous voilà à Boston (Etat du Massachusetts) en 1974. Un petit rappel historique est nécessaire pour se remettre dans le contexte. La Boston desegregation busing crisis est une crise pendant laquelle un juge a ordonné que des élèves issus des quartiers majoritairement noirs devraient aller dans les quartiers majoritairement blancs et vice versa. L’objectif étant de stopper la ségrégation raciale. Mais au lieu de cela, cette décision a avivé de vives tensions et a fait ressortir la haine de chacun. Ce livre traite donc de racisme, de discrimination aussi et de crime organisé. Dennis Lehane, lui-même immigré est bien placé pour parler de cette réalité. Et il le fait sans le simplifier, c’est-à-dire qu’il ne décrit pas une situation manichéenne mais montre bien comment chaque partie envenime le débat et provoque le conflit. Il n’y a ni bon ni méchant, seulement des cultures différentes.
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Dennis Lehane : un grand auteur
Dennis Lehane est né en 1965 à Boston. Il est d’origine Irlandaise
Boston : une ville historique
Je pense qu’il est nécessaire de se replonger dans l’histoire de Boston pour comprendre ce qui se déroule dans le roman (et aussi de nos jours). Boston renommé Bean Town en raison de ses plats à base de fèves.
En 1620, le Mayflower va accoster dans le sud de Boston à Plymouth. A son bord, des colons. C’est ainsi que la ville va devenir la capitale de la Nouvelle-Angleterre. C’est d’ailleurs à cette époque que sera fondée une université de théologie, qui deviendra plus tard Harvard. La ville reste donc sous le monopole des anglais. Ensuite, pendant la Guerre d’indépendance américaine, Washington va s’emparer de la ville en 1776. Elle deviendra donc américaine.
Comme dans de nombreuses villes, les quartiers correspondent à des cultures. Celui de South Boston (dit Southie) est majoritairement irlandais.
Extraits
Page 23
« Elle en a pris conscience au cours de ces deux dernières années, Jules n’aurait jamais dû grandir ici. Mary Pat, elle, a l’air de sortir d’une chaîne de fabrication d’Irlandaises dures à cuire – un simple coup d’œil aux photos d’elle quand elle était bébé ou petite fille et on remarque tout de suite son visage grimaçant, ses larges épaules et son corps, râblé et puissant, prêt à participer à un roller derby ou une connerie de ce genre. La plupart des gens préfèreraient se battre contre un chien errant qui aurait envie d’un bon morceau de viande plutôt que d’avoir une embrouille avec une fille de Southie qui a grandi dans les cités.
Mais ça, c’est Mary Pat.
Jules, quant à elle, est grande et finement musclée, avec de longs cheveux lisses couleur pomme. Elle est douce, féminine jusqu’au bout des ongles, et en attente d’un cœur brisé, comme le mineur est en attente d’un poumon silicosé – Mary Pat sait pertinemment que ça va arriver. Elle est fragile, cette créature sortie du ventre de Mary Pat, fragile dans ses yeux, fragile dans sa chair, fragile dans son âme. Son langage brutal, les cigarettes, sa capacité à jurer comme un charretier et cracher comme un docker, tout cela ne peut pas le masquer complètement. La mère de Mary Pat, Louise « Weezie » Flanagan, qui était digne de figurer au panthéon des Irlandaises dures à cuire – un petit mètre cinquante et quarante-trois kilos toute mouillée après un dîner de Noël -, l’a souvent dit à Mary Pat : « Il y a ceux qui se bagarrent et il y a ceux qui se barrent. Et ceux qui se barrent finissent toujours coincés dans une impasse, tôt ou tard. »
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Page 240 – Mary Pat recherche sa fille, elle discute avec l’inspecteur Bobby qui la recherche
« Bobby est frappé de constater que quelque chose d’irrémédiablement détruit et de totalement indestructible à la fois vit au plus profond de cette femme. Et ces deux caractéristiques ne peuvent pas coexister. Une personne détruite ne peut pas être indestructible. Une personne indestructible ne peut pas être détruite. Et pourtant, Mary Pat Fennessy est assise là, devant lui, détruite, mais indestructible. Ce paradoxe fiche une trouille pas possible à Bobby. Au cours de sa vie, il a déjà rencontré des gens dont il est convaincu qu’ils vivaient comme les anciens shamans, un pied dans chaque monde : ce monde-ci et celui de l’au-delà. Quand vous rencontrez des gens comme ça, mieux vaut les fuir comme la peste, sinon, ils peuvent très bien vous entraîner avec eux dans l’autre monde quand ils partent.
Parce qu’ils sont sur le départ. Il ne faut pas s’y tromper. Prêts à tirer leur foutue révérence.
– Mary Pat, dit-il avec douceur. (Elle lève les yeux vers lui.). Est-ce que vous avez quelqu’un à qui parler ?
– Parler de quoi ?
– De ce que vous traversez en ce moment.
– Je suis en train de vous parler.
Pas faux.
– Et je vous écoute, dit Bobby.
Mary Pat scrute son visage un instant.
– Mais vous n’entendez pas.
– Qu’est-ce que je n’entends pas ?
Assise sur le capot de cette misérable voiture, les yeux encore bien trop brillants au goût de Bobby, elle fait tournoyer un doigt pointé vers le ciel, et lui répond :
– Le silence. »
L'avis de Charlotte
La couleur jaune de la couverture rappelle celle de Kill Bill. Ce n’est pas une comparaison anodine puisque j’y ai pensé tout le long du livre. Dans Kill Bill (volume 1), la Mariée qui est interprétée par Uma Thurman va se venger (4 ans plus tard) des personnes qui lui ont tiré dessus – et sur son bébé en devenir – dans la chapelle de Two Pines. Dans Le Silence, nous retrouvons le thème de la vengeance. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la vengeance d’une mère.
J’ai adoré cette Mary Pat, héroïne plutôt badass, issue de quartiers défavorisés, dont la vie ne lui a pas fait de cadeau. Elle m’a bouleversée. Elle qui a déjà perdu un fils doit faire face au pire : sa fille a disparu.
En fait, l’époque du busing n’est qu’un prétexte pour planter le décor du roman car le cœur de l’histoire n’est pas là. Le fond du roman est une histoire qui parait simple mais qui ne l’est pas. C’est l’histoire d’une mère qui ne trouve plus sa fille adolescente. C’est une mère dont le cœur est déchiré. Une mère qui ne trouve pas son enfant devient une lionne, elle est pire qu’un homme car rien ne peut l’arrêter. C’est ça le cœur de l’histoire. C’est déchirant, bouleversant, excellent.
9/10
Bibliothèque
- Article de Libération « Jeudi polar : «Le Silence» de Dennis Lehane, Boston au temps de la haine », Sabrina Champenois, 20/04/2023
- Retrouvez la liste des autres chroniques ici.