Crépuscule
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Philippe Claudel

Encore un sublime roman de Philippe Claudel

Crépuscule est un excellent roman qui confirme la maîtrise littéraire de Philippe Claudel. C’est un conteur né, le récit est délicieusement raconté, très drôle, à la limite du satirique. Il s’agit de littérature au sens noble du terme.

« La jeunesse est un brasier qui sommeille. Il suffit de verser sur elle une pincée de poudre pour qu’elle éclate en flammes vives. »

Crépuscule : le résumé

L’histoire se déroule au début du 20ème siècle dans une commune française rurale. Un corps y est retrouvé. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle personne. C’est Pernieg, le curé du village qui est retrouvé assassiné. Cette fonction est centrale et va donner à la mort de ce personnage une autre dimension – politique, sociale- car ce n’est pas juste un homme lambda qui a été tué, c’est un représentant de Dieu, le curé du village !
Le policier Nourio va être chargé d’enquêter. Celui-ci est le narrateur de ce roman et le personnage central. Mais voilà, Nourio va prendre très au sérieux cette enquête, qui lui permettra, en la résolvant, de montrer à l’Empire ce qu’il vaut (vraiment). Mais l’assassin va-t-il être retrouvé ?
Cette enquête est le point de départ du récit et va entraîner de nombreuses réactions en chaîne. Passionnant, plaisant, drôlement sarcastique, l’auteur dépeint la nature humaine comme personne ! Au plus juste, il n’essaie pas de l’enjoliver, bien au contraire.

Crépuscule - Philippe Claudel

Extraits

Page 196 – Après avoir appris le suicide passé d’une femme du village, le policier Nourio s’interroge sur lui-même.
« Sur le trajet, Nourio songea à ce qu’il lui avait dit sur sa femme. Beaucoup de mots pour peu de choses : était-elle la seule à ne pas se sentir à sa place, et à ne jamais la trouver ? Et lui donc, dans ce coin perdu du monde, était-il à la sienne ? N’aurait-il pas pu, ailleurs, aspirer à une autre vie, d’autres fonctions plus importantes, en harmonie avec son intelligence et ses capacités ? Connaître et mâcher cette amertume, était-ce une raison suffisante pour s’ôter la vie ? 
Le suicide avait toujours paru au Policier la mort la plus lâche qui soit, non parce qu’elle était un outrage à la vie, que d’aucuns, mais pas lui, considèrent comme le bien le plus précieux, mais parce qu’elle évitait d’affronter l’inconnu majeur lié à la fin de toute existence. Ne pas savoir où, comment, ni à quelle heure l’homme rencontre sa mort, être conscient de cela, ne rien pouvoir y faire, continuer à être malgré tout, témoigne d’un courage grandiose. Se confronter à ce mystère grandit l’homme. Toute chose que le suicide évite en signant la couardise de celle ou de celui qui choisit l’heure et la méthode. 
Nourio avait ainsi un certain nombre d’idées clairement établies, sur la vie, le monde, la mort et les choses. Ce qu’il croyait être des pensées profondes n’étaient en vérité que des crétineries, qu’il conservait précieusement dans sa bibliothèque mentale, dont les rayons encombrés témoignaient de son ennui et de sa médiocrité raisonneuse. »
 
p.200 – L’auteur écrit ici un coup de foudre. Tellement difficile à décrire et pourtant, je trouve que l’auteur y arrive somptueusement.
« Il suspendit sa phrase, non par pudeur de dire une nouvelle tragique mais parce que Baraj venait de se rendre compte que la fillette le regardait et qu’elle souriait, qu’elle lui souriait, qu’elle lui donnait le plus beau et le plus pur des sourires, à lui auquel d’ordinaire on n’offrait rien d’autre qu’une visage fermé, hostile ou dédaigneux, car les gens n’apercevaient que ses gros traits de bête, la paillasse sur son crâne, son corps immense et raide, ses mains malades, sa peau de crapaud, et se disaient qu’à l’intérieur, l’âme devait être faite des mêmes matériaux grossiers et mal équarris. 
Jamais Baraj n’avait connu cela. 
Un sourire. 
Le sourire de Lémia. 
Et le sourire entra dans son cœur solitaire où n’habitaient jusque-là, dans un coin, que Mes Beaux mais qu’il poussa d’un coup pour lui faire la plus belle des places, en même temps que dans son âme passait un poème, ange de silence, doigts fins et doux, aux yeux de sainte fraîche, toujours à toi mes pensées et ma force, ainsi va la promesse, et Baraj, qui ne savait plus comment faire, qui n’avait peut-être jamais vraiment su tant sa vie depuis l’enfance n’avait été emplie que des coupures et d’entailles, tordit ses grosses lèvres et plissa ses yeux énormes pour tenter de rendre à Lémia son sourire.
Et Lémia sut lire comme cela devait être ce que d’aucuns auraient pris pour une grotesque grimace, et son visage merveilleux devint dans le taudis obscur un grand soleil. »

L'avis de Charlotte

Philippe Claudel est un virtuose de l’écriture. Il a une maîtrise du sens du récit, de la narration et une écriture travaillée sans déséquilibre, du début à la fin. Les chapitres sont courts et intenses. J’ai envie de tout annoter, copier dans un carnet, presque toutes ses phrases pourraient être retenues en citation. Les figures de style sont maniées avec justesse. En voici un exemple (parmi tant d’autres) page 269 « La jeunesse est un brasier qui sommeille. Il suffit de verser sur elle une pincée de poudre pour qu’elle éclate en flammes vives.« 
 
J’ai néanmoins été bousculée au début, trop habituée à découvrir des personnages centraux attachants. L’auteur ici se joue de nous car derrière ses héros se cachent de nombreux vices et difficile pour le lecteur de ne pas les trouver antipathiques… Quoi de pire que de haïr le personnage ? Nous y sommes (délicieusement) habitués dans les séries avec les anti-héros mais un peu moins en littérature, nombre d’auteurs étant tentés de rendre sympathique leurs personnages. Moins simple d’écrire en se glissant dans la peau d’un déplaisant protagoniste. Mais voilà encore la preuve du talent et de l’intelligence donc fait preuve l’écrivain. 
 
Du reste, le sujet traité paraît très actuel. En effet, un homme de foi a été touché. Au lieu de rassembler, cet acte va au contraire diviser, être l’étincelle qui va faire monter une colère entre religions teintée de préjugés. On lit ainsi page 210 « Si le Rapporteur, un temps, avait délaissé sa prose polluée et ses fantasmes salins, s’il avait simplement marché dans sa petite ville et respiré le brouillard de l’hiver qui se piquait d’odeurs de poudre, s’il avait parcouru d’un œil distrait l’amoncellement de billets que des mains crispées glissaient sous sa porte et qui tous témoignaient, dans leur pauvre vocabulaire et leur graphie estropiée, d’une inflammation de la haine, s’il avait regardé le visage des passants, ce feu dans leurs yeux, ces bouches fermées sèchement, ces mâchoires soudées, ces corps tendus et prêts à bondir, s’il avait entendu ces phrases brèves, poncées, abrasées, crachées par les uns et les autres, sans doute aurait-il pu comprendre la menace imminente et la prévenir. Car les grands incendies ne sont à leur départ que mousses et étincelles.« .
C’est ainsi que le récit peu à peu va nous emmener au point culminant de toute cette histoire.
 
Pour conclure, c’est un excellent roman que je ne peux que conseiller.

8/10

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