Les frères Lehman
-
Stefano Massini

Ce qui distingue ce livre de près de 900 pages en poche est qu’il est intĂ©gralement Ă©crit en prose ! […] Au final, nous nous retrouvons avec un livre poĂ©tique, drĂ´le et Ă©mouvant.

Stefano Massini est un dramaturge italien. Il dirige aujourd’hui le Piccolo Teatro de Milan.

Le sujet

Les frères Lehman retrace l’Ă©popĂ©e de la famille Lehman sur plusieurs gĂ©nĂ©rations.
Tout dĂ©bute en Allemagne avec Heyum, allemand de Bavière, qui traverse l’Atlantique pour devenir Henry en Alabama. Heyum Lehmann devenu Henry Lehman. C’est le premier personnage de cet Ĺ“uvre imposante. Nous en connaitrons beaucoup d’autres ! A travers cette histoire, nous dĂ©couvrons aussi la religion juive puisque les Lehman sont juifs. Chaque nom de chapitre correspond Ă  un terme yiddish ou Ă  un terme hĂ©braĂŻque.

« Le commerce est l’art d’abuser du dĂ©sir ou du besoin que quelqu’un a de quelque chose. »
E. et J. De Goncourt

Les frères Lehman l’ont bien compris. Ils ont dĂ©butĂ© par le commerce de coton en 1850 (ils se disent « intermĂ©diaires ») puis par le cafĂ©, le charbon, la tabac, le train pour finir par devenir une banque.
C’est tirĂ© d’une histoire vraie, on y retrouve ainsi l’extraordinaire Ă©popĂ©e de la banque Lehman Brothers, de son sens du commerce, de la montĂ©e en force du capitalisme et de son expansion sur un monde en guerre et sa chute vertigineuse en 2008.

Les frères Lehman

Extraits

p.42 – DĂ©but du roman, Henry Lehman explique qu’il Ă©crit Ă  sa famille en Bavière des Etats-Unis.

« D’autant plus que,
Entre une nuit et un jour,
Il n’y a qu’un seul moyen de se parler :
S’Ă©crire.

Une lettre tous les trois jours.
Monsieur mon père.
Chers frères et sœurs.
Une lettre tous les trois jours
font 120 lettres par an.

Indescriptiblement cher. »

——————————————————————————————

p.631 – L’auteur dĂ©crit ici un nouveau personnage, Irving. Il manie avec justesse les procĂ©dĂ©s d’Ă©criture, en quelques vers, nous voilĂ  dĂ©jĂ  face Ă  un Irving plus vrai que nature.

« Il avait pour ainsi dire
naturellement postulé
depuis l’enfance Ă  la pĂ©nombre.
Et non parce qu’il Ă©tait tĂ©nĂ©breux ;
il possédait une tranquillité joyeuse,
paisible, sans accrocs,
privĂ©e de fausses notes aussi bien vers l’aigu que vers
le grave,
et il n’y avait dans ce calme plat
pas la moindre trace d’apathie.
Irving représentait la quintessence de la modération,
en l’observant on pouvait saisir en lui
un sens autrement indéfinissable d' »humanité moyenne »
à des années-lumière de la médiocrité,
comme du compromis.
Tout simplement, il Ă©tait au milieu.
Et il y Ă©tait très bien, d’ailleurs. »

——————————————————————————————

p.808 – Voici une critique acerbe des conflits mondiaux, toujours bien Ă  jour.

« Etre sur le podium est pire que de ne pas y être
il y a trop de calme chez les vainqueurs.
On s’ennuie.

Par conséquent, faisons-nous du mal.

Il semble parfois que les ĂŞtres humains
rĂ©agissent Ă  la tranquillitĂ© par l’agacement :
ils ont besoin de lutter
il leur faut toujours un ennemi
Ă  combattre.
Sinon Ă  quoi bon vivre ?

Et maintenant qu’Adolf Hitler est un souvenir ?
Maintenant que les Japonais sont bien sages ?
Maintenant que le monde est soudain silencieux ?
A qui nous en prenons-nous ?

Si l’on prive Superman d’un monstre Ă  anĂ©antir
la bande dessinée ne décolle pas :
tout le monde se moque
de la façon dont le super-héros cuisine
ou dont il lave sa voiture neuve.
Se peut-il qu’il ne reste pas au monde
un vestige de dictateur fou ?
S’il vous plaĂ®t, prĂ©sentez-vous.
Menacez-nous.
HaĂŻssez-nous.
Provoquez-nous.

Sinon c’est un problème.
Le prophète Ezéchiel
chemina dans une vallĂ©e d’ossements.
Et c’Ă©tait assommant.
Puis les os se ranimèrent et l’on se remit Ă  danser.
Quand cela nous arrivera-t-il ?

Bon, il y a bien la Russie.
Pas mal, comme ennemi :
deux super-puissances peuvent donner lieu Ă  une de
ces luttes
qui vous Ă´tent le sommeil.
Et les Chinois aussi : ennemis pittoresques.
Sans compter les Coréens.
Mais, au fond, l’Asie est si loin…

Pour Ă©lectriser un peu la vie
il faudrait une embûche à la maison.
Un cobra dans le lit. »

L'avis de Charlotte

Ce qui distingue ce livre de près de 900 pages en poche est qu’il est intĂ©gralement Ă©crit en prose ! C’est un travail de fou. Il se lit comme un conte, avec de courts chapitres. Au final, nous nous retrouvons avec un livre poĂ©tique, drĂ´le et Ă©mouvant.
Ce roman a été primé en Italie. En 2018, il a reçu en France le prix Médicis Essai ainsi que le prix du meilleur livre étranger Fiction.
Stefano Massini a ensuite adapté son œuvre en pièce de théâtre intitulée « Chapitres de la chute, Saga des Lehman Brothers » qui a été mise en scène mais aussi enregistrée et diffusée par France Culture. Retrouvez ici les 15 épisodes.

A présent, je vous invite à découvrir un autre de mes coups de cœur !

8,5/10

Retour en haut