La bonne mère
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Mathilda Di Matteo

Une couverture splendide

Avant d’aborder le sujet du livre on en parle de cette magnifique couverture ?

Dans un style pop-art, le titre du roman La bonne mère de Mathilda Di Matteo nous saute aux yeux. On retrouve des carrés imbriqués, comme placés en bazar, certaines illustrations dépassent de la marge. Quatre images s’offrent à nous : une jeune femme brune dans les bras d’une blonde qu’on ne voit que de dos. Elle a la peau bronzée et porte une robe rose. Ce câlin respire la tendresse. Puis en dessous, nous découvrons le visage d’une femme féminine, aux cheveux blonds peroxydés et aux lèvres rouge. Sur ses yeux un fard à paupière violet et du blush rose sur les joues. Au dessus nous reconnaissons Marseille et sa mythique Basilique Notre-Dame de la Garde. La dernière photo représente un chien, un petit bouledogue noir entouré de diamants. Enfin, un carré style panthère vient terminer le tout. Avec cet assemblage d’images, l’univers du livre est résumé. On y trouve une femme un peu provocante, une cagole comme on dit à Marseille, qui adore son chien, qui a une fille, discrète brune. Les couleurs sont vives : du bleu ciel, du jaune poussin et du rose saumon. Magnifique ouvrage qu’on repère de loin dans les librairies. On a envie de s’y plonger !

On doit l’illustration à Marie Mohanna et la couverture à Quintin Leeds (le directeur artistique des éditions de L’Iconoclaste).

La bonne mère - Mathilda Di Matteo
La bonne mère - Mathilda Di Matteo

Un roman drôle

Nous voici plongés dans le personnage d’une mère. Elle parle à la première personne du singulier, nous voilà donc dans sa tête. Et déjà elle nous plaît cette maman. Dès la première page elle nous fait rire. Il faut dire qu’elle a de l’humour, on ne sait pas si elle est ironique ou sérieuse mais on la lui fait pas à l’envers, ça c’est sûr. Pour que vous compreniez, voici la première page du roman :
« Je me doutais bien, avec sa Grande Ecole et ses grands airs, qu’elle allait nous ramener un petit Parisien. Elle me sort :
– Il est pas de Paris, maman, mais de banlieue parisienne.
Censément c’est important comme distinction. Enfin, pas besoin de connaître son adresse pour voir à des kilomètres que c’est un petit con. Je l’appelle le girafon. Dans son dos, bien sûr. Son grand dos tout fin, son long cou de girafe. Un cou à égorger, vraiment. Pas que j’y pense, en tout cas pas encore, mais c’est pour dire la taille du cou. Et puis cet air. A croire qu’il est en safari partout où il bouge lentement sa grande tige. Comme s’il avait peur de marcher sur une bombe, ou sur une bouse de paysan.
J’ai toujours su que Paris, c’était le début de la fin. Ca fait quoi, cinq ans qu’elle nous a quittés ? Avant ça, des années à nous tanner. Et Paris par-ci, Paris par-là. Comme si Marseille était pas assez bien pour elle. Pas assez grande. A se faire des films, vouloir faire sa grande dame sur les Champs-Elysées, ou va savoir où tant que c’est propre et cher, et puis surtout, in-tel-lec-tuel. J’ai eu beau lui dire, tu sais qu’à Paris y a les Parisiens ?
– Justement, elle m’a fait la minotte.
Justement.
Faites des gosses. »

La bonne mère - Mathilda Di Matteo

Un duo émouvant

Le duo mère-fille ne pourrait être plus éloigné. Tandis que la fille, Clara, est studieuse, cultivée et angoissée, sa mère est une cagole, marseillaise, plutôt grande gueule et un peu provocatrice. Le père est par là, on le mentionne en l’appelant par son surnom « le Napolitain » mais il n’est pas un caractère principal. Il est décrit assez joyeusement par la mère comme un personnage qui ne sert pas à grand chose, en tout cas dans les moments importants il n’agit pas. Mais malgré leurs différences, la mère et la fille s’entendent, s’aiment à leur manière. La maman, bien plus fine que ce qu’on croirait, a bien compris que sa fille veut s’élever dans un autre milieu social. Plus que de la juger, elle s’en moque gentiment, tout en laissant sa fille s’épanouir dans ce milieu. Bien sûr, elle a du mal à comprendre. Le fait qu’elle appelle son beau-fils le « girafon » est très drôle. 

Entre Marseille et Paris, on bascule ainsi du point de vue de la mère puis de celui de la fille par chapitres interposés. Ce roman incarne ces deux personnages sans jamais tomber dans la caricature. J’ai trouvé que le roman était scindé en deux parties : la première traite de la différence des milieux sociaux tandis que la seconde a pour sujet la violence des hommes.

La bonne mère - Mathilda Di Matteo

Extraits

Page 29 – La mère et sa fille se promènent à Marseille

« Quand on ressort enfin, la rue Saint-Fé exhale son odeur estivale d’ordures réchauffées. La ville, on y va que rarement. Ma mère dit du bout des lèvres :
– C’est populeux.
Ca grouille. De merde, de rats, de racailles en Y sur les scooters. Elle écrase mes doigts potelés :
– Tu me colles, on sait jamais.
La chaleur poisseuse de la fin d’après-midi semble affecter tous les corps sauf le sien. Elle slalome entre les passants groggy. C’est la course, parce qu’elle court toujours. Droit devant, elle dégaine la liste, si bien que je l’entends entrecoupée par le bruit des moteurs et des klaxons. Il faut qu’on fasse les courses, qu’on passe chez mamie, à la Poste et puis au pressing, tout ça avant sept heures, sinon le Napolitain va encore dire qu’on mange comme les Espagnols.
– Bouge, elle ordonne, mais mes pieds traînent. Non, on peut pas rester. Me regarde pas comme ça. Allez ! Putain, on est vraiment garées à perpète.
Sur le port les voitures sont à l’arrêt, comme sonnées. Ca sent la mer stagnante et surtout l’essance. En traversant, elle se fait siffler trois fois. Deux fois elle ignore, la troisième elle répond par un doigt d’honneur. […] Souvent, j’ai peur pour elle. Peur qu’en face ça ne réponde pas qu’avec la bouche. Sauf qu’elle a quelque chose, semble-t-il, qui les empêche. Comme une lumière. C’est qu’elle brille, autant qu’elle braille, tous ces gros mots que je m’étais promis de ne jamais sortir de ma bouche, qu’elle dit aux siffleurs en voiture mais aussi au banquier, au boucher, et même à la boulangère, si bien qu’ils la craignent, si bien que tous se courbent devant elle dès qu’ils entendent sur le sol ses talons qui claquent. Certains disent, comme pour contrer son pouvoir, qu’elle est vulgaire. Un soleil de canicule, du genre incendiaire. »

L'avis de Charlotte

J’ai trouvé ce livre drôle. La mère, un peu cynique, m’a vraiment faire rire. Mais c’est aussi un roman émouvant et plus profond qu’il n’y paraît. A travers cette relation entre ces deux femmes on observe la complexité de passer d’un milieu social à un autre, de Marseille à Paris, de la difficulté de se sentir légitime quand on n’est pas issue de la même classe sociale. Page 41, elle écrit qu’à Paris, on lui demande :
« – Et ils font quoi, tes parents ?
Ils aiment bien demander ça, là-haut, comme dirait ma mère. Jamais je n’ose répondre que mon père est taxi et qu’elle est secrétaire, ascendant cagole. ».
Et puis, j’y ai vu une critique de la bien-pensance qui fait du bien ! Si je voulais chercher la petite bête, je dirais qu’il y a quelques maladresses au niveau du scénario, un revers un peu trop brutal au milieu du livre qui n’est pas fait avec finesse mais vraiment ce serait chercher pour chercher !
Non, c’est un excellent premier roman. Chapeau à Mathilda Di Matteo !

Mathilda Di Matteo - Instagram

8/10

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