La Décision
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Karine Tuil
La Décision est un roman qui a été très commenté à sa sortie. Il a en effet reçu d’excellents retours de la communauté des libraires. C’est un livre que j’ai énormément apprécié ! Documenté et réaliste, c’est une plongée dans l’horreur et la dureté du métier de juge anti-terroriste.
Les histoires de couples ajoutent de la romance à l’histoire qui s’apparente presque à un documentaire.
Celle de la juge Alma Revel part justement en vrille.
Extrait
Dès le début du roman, page 19, le sujet de l’humain au centre la la justice est évoqué :
« On se trompe sur les gens. D’eux, on ne sait rien, ou si peu. Mentent-ils ? Sont-ils sincères ? Mon métier m’a appris que l’homme n’est pas un bloc monolithique mais un être mouvant, opaque et d’une extrême ambiguïté, qui peut à tout moment vous surprendre par sa monstruosité comme par son humanité. Pourquoi saccage-t-on sa vie ou celle d’un autre avec un acharnement arbitraire ? Je ne sais pas, je ne détiens pas la vérité, je la cherche, inlassablement ; mon seul but, c’est la manifestation de cette vérité. Je suis comme une journaliste, une historienne, un écrivain, je fais un travail de reconstitution et de restitution, je tente de comprendre le magnétisme morbide de la violence, les cavités les plus opaques de la conscience, celles que l’on n’explore pas sans s’abîmer soi-même – tout ce que je retiens de ces années, c’est à quel point les hommes sont complexes. Ils sont imprévisibles, insaisissables ; ils agissent comme possédés ; c’est souvent une affaire de place sociale, ils se sentent blessés, humiliés, au mauvais endroit, ils se mettent à haïr et ils tuent ; mais ils tuent aussi comme ça, par pulsion, et c’est le pire pour nous, de ne pas pouvoir expliquer le passage à l’acte. On sonde les esprits, la sincérité des propos, on cherche les intentions, on a besoin de rationaliser – et dans quel but car, à la fin, on ne trouve rien d’autre que le vide et la fragilité humaine. »
L'avis de Charlotte
J’ai trouvé l’héroïne antipathique mais on ne peut qu’être impressionnée par la maîtrise du personnage, sa personnalité si réaliste et ses décisions si humaines. En définitive, il n’y a pas de bonne solution concernant les décisions à prendre. Il n’y a pas d’explication concernant les actes délictueux qui y sont racontés. Il n’y a que la justice qui doit être droite, en accord avec le droit.
J’ai découvert la difficulté que les juges ont à devoir statuer. Même si ils sont plusieurs, cela n’empêche pas d’exister le débat, la croyance, l’espoir, la dureté, la responsabilité.
Page 23, Karine Tuil écrit que « la réalité, c’est qu’on s’habitue à la possibilité de notre propre mort mais à la haine, jamais. La haine surgit et contamine tout. Elle est là quand j’ouvre les courriers des détenus [Alma Revel, vous allez crever en enfer], le compte rendu d’écoutes interceptées dans les parloirs sonorisés [la juge, cette pute] ; elle est là quand je visionne des vidéos d’exécutions ou les images prises sur les scènes de carnage [on va balafrer votre pays de mécréants], elle est là quand j’interroge des hommes, des femmes, des adolescents [j’reconnais pas votre justice, vos lois, vous êtes rien], et elle est là au moment où je reçois des SMS de menace [Les Frères vont buter ta gueule, grosse salope]. A la fin, ces microfissures provoquent une fracture, une béance qu’il faut bien combler d’une façon ou d’une autre, par une narration affective, même factice. Or, d’une manière générale, les gens n’aiment pas les juges, ils nous voient comme les clés de voûte d’un appareil punitif, nous serions rigides et trop puissants, les thuriféraires de la loi – le bras armé de la coercition. »
En définitive, ce sont eux qui portent sur leurs épaules la responsabilité des actes de leurs jugés.
Ce roman est un grand roman. Je suis heureuse de savoir qu’il est étudié en classe. C’est un texte qui mérite d’être lu, commenté, questionné. C’est un très beau travail de Karine Tuil, qui m’impressionne par son intelligence, son style, son travail fouillé et méthodique.