La Fille qu'on appelle
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Tanguy Viel

Un roman concis et percutant

Pour faire court, La fille qu’on appelle, une call girl dirait-on en anglais est Laura. C’est elle qui nous raconte l’histoire, du début, alors qu’elle est chez les flics, on ne sait pas trop pourquoi mais en tout cas elle raconte depuis le début. Elle qui rencontre le Maire. Celui-ci est l’employeur de son père, Max. Max est boxeur pro, il a été champion de France. C’est donc Max, le père de Laura, qui lui arrange un rendez-vous avec le Maire car elle a besoin d’un logement. C’est le début. Puis la suite, c’est Laura qui la raconte.
C’est l’histoire d’une agression qui est arrivée insidieusement, c’est l’histoire d’un non qui n’a pas été prononcé, c’est l’histoire d’un politique et d’une fille, c’est l’histoire d’une fille qui est semblable à des milliers (millions?) d’autres.
L’auteur arrive à détricoter le mécanisme qui se joue dans les agressions sexuelles. Ce mélange de pouvoir, de non dit, d’obligation, de sous-entendu. Pourtant, les faits sont bien là. Pourtant, ce n’est souvent pas la fille que l’on croit.
A lire, à faire lire, à toutes et tous, surtout, que les garçons comprennent que ce n’est pas si simple.

La Fille qu'on appelle - Tanguy Viel

Extrait

Extrait page 82 – Laura explique les faits déroulés aux policiers
« Et de fait, c’est vrai, ils n’ont pas eu l’air de comprendre, pas plus que si on leur avait mis sous les yeux une équation mathématique réduite à son expression la plus abstraite – eux, collégiens de bonne volonté mais dont le tour d’esprit n’aurait pas été formé à ce genre de métaphores pour qu’apparaisse autre chose qu’une image pour ainsi dire littérale d’escalier et de marches inégales.
Que le plus dur, elle a repris, ou bien le pire, ou bien le plus absurde, ce n’est pas de passer de zéro à un mais bien de un à deux, je veux dire, vous comprenez, passer de la première à la deuxième fois.
Vous voulez dire qu’il y a eu une deuxième fois ?
Le lendemain. A la même heure. On est venu me chercher au bar, on m’a dit : Il t’attend.
Qui ça « on » ?
Je ne sais pas. Quelqu’un.
Et vous y êtes allée ?
Oui.
Alors le policier qui continuait de taper la récit sur son ordinateur, comme si cette fois il ne pouvait pas continuer d’enregistrer une plainte qu’il jugeait de plus en plus irrecevable, il s’est arrêté et il a dit :
Je ne comprends pas. Vous pouviez très bien dire non à ce moment-là.
Peut-être, elle a dit. Je ne sais pas. Et presque énervée ou bien continuant de réfléchir à voix haute, elle a poursuivi : Vous savez pourquoi la deuxième fois est pire que la première ? Eh bien parce que dans cette fois-là, dans cette deuxième fois, il y a toutes les suivantes. […]
Peut-être c’est votre métier de rassembler les faits, elle a repris, et même de les faire tenir ensemble comme un château de cartes, mais moi je vous dis qu’il suffit que je m’en approche, il suffit que je respire à peine et déjà votre château, je le fais s’effondrer. Et vous savez pourquoi ? Parce que c’est mon château, avec mes cartes.« 

L'avis de Charlotte

C’est un délice à lire, le style de Tanguy Viel est unique, les mots choisis sont précis, le texte est ciselé, ni trop court ni pas assez, les descriptions sont renversantes, le propos est incroyablement juste.
Un exemple de description, page 62 « Et peut-être parce que le même Franck était aussi en chair et en os devant elle, elle eut le sentiment qu’il avait réussi son coup, réussi à rabaisser chacun à l’ironie de son passage sur terre quand dans son costume blanc on l’aurait dit d’albâtre et presque déjà mort, lui, comme ces crânes posés sur un bureau dans le coin d’une peinture baroque, qui couvrent de vanité tous les objets du tableau. Lui-même alors, parcourant à nouveau les images au prisme de son regard à elle, on peut lui prêter cela de sentimental peut-être, qu’il s’est coulé un instant dans la nostalgie de Max et de leur amitié. »

8,5/10

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