Au nord de la frontière
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R.J. Ellory
Un superbe roman noir
Au nord de la frontière (titre original : The Lost Highway) est un excellent cru de l’excellent auteur britannique R.J. Ellory. Le personnage principal est Victor Landis, shérif dans un comté en Géorgie. Il est taiseux, bourru et solitaire. On s’y attache, à lui et aux autres personnages qui gravitent autour, notamment son assistante Barbara qui ne mâche pas ses mots et est la personnification de sa conscience. Tout débute par le décès de son frère qu’il n’a pas vu depuis de nombreuses années et qui était aussi shérif dans un comté voisin. Mais son décès a été violent. Lorsque Victor découvre qu’il a une nièce, celle-ci va le convaincre de ne pas laisser cette mort impunie. Nous voilà embarqués dans une sombre enquête à travers les paysages des Appalaches.
Extrait – Première page du roman
« La nouvelle de la mort de son frère arriva peu après le petit-déjeuner.
Victor Landis se rendit sur le porche avec son café et sa cigarette et s’assit sur la balancelle. C’était un matin lumineux et dégagé. Il regarda en direction de l’autoroute et tenta de se souvenir de la dernière fois que lui et son frère et son frère s’étaient parlé. Mais il n’y parvint pas. Ca faisait un certain nombre d’années, certes – onze, probablement plus près de douze, à présent – et les mots qu’ils avaient échangés s’étaient transformés en coups. Le lien fraternel qu’ils avaient jadis partagé avait été irrémédiablement brisé. Il y avait une histoire entre eux, dont le récit variait en fonction de la personne à laquelle vous demandiez.
Alors qu’à peine plus d’une année les séparait, Victor et Frank ne partageaient désormais plus rien que leur sang. Le fait qu’ils avaient tous deux terminé dans les forces de l’ordre n’était imputable qu’à une coïncidence. Ni l’un ni l’autre n’avait semblé en rêver dans sa jeunesse. De fait, Victor avait montré un penchant pour la musique. Il se voyait guitariste, un peu comme leur père. Leur entrée dans la police – qui les avait reliés avant de les séparer encore plus – était un fil tordu de plus dans le barbelé de leur passé. Et pour l’un comme pour l’autre, ce passé était semblable à des sables mouvants – plus ils tentaient de s’en échapper, plus il les entraînait vers l’arrière.
La nouvelle de la mort de Frank semblait être la preuve que la persévérance payait invariablement. Il s’était finalement échappé, mais pas comme il en avait eu l’intention.«

Extrait
Page 141
« Landis savait que ses propres parents avaient été irrémédiablement abîmés. Ni l’un ni l’autre n’avait été équipé pour élever une famille. En vérité, ils étaient à peine capables de faire tenir un mariage. Avec le recul, Landis estimait qu’il avait peut-être jugé Frank trop durement, mais il avait passé tant d’années à bâtir ce jugement qu’y renoncer aurait été presque impossible. Il fallait avoir raison, même quand on avait tort. Et admettre qu’on avait commis une erreur, c’était admettre son propre rôle dans la dégradation d’une relation. La culpabilité était un manteau pesant à porter, même quand vous l’aviez taillé vous-même.
Aussi bien Frank que lui – à un degré ou à un autre – étaient le résultat de leur éducation. Le fait qu’ils avaient à un moment été si proches rendait leur brouille encore plus profonde. Confrontés au fait que leur mère était déconnectée de la réalité et aux mauvais traitements et à la violence de leur père, ils avaient uni leurs forces. Ils avaient eu un ennemi commun, et une fois cet ennemi parti ils avaient dû trouver autre chose à combattre. Alors ils s’étaient battus l’un contre l’autre. Il n’y avait rien de complexe là-dedans. C’était la nature humaine. Le problème était que chacun était absolument convaincu que l’autre était responsable de tout ce qui s’était passé, et c’était un piège dont il était impossible de s’échapper.
Mais il voyait ces choses sous une lumière différente maintenant que Frank était mort, et ce n’était qu’en son absence qu’il y avait réfléchi. Si Frank avait toujours été en vie, Landis savait que ni l’un ni l’autre n’aurait enterré la hache de guerre. Amorcer un semblant de réconciliation aurait été équivalent à admettre la défaite. Malgré toutes leurs différences, l’entêtement était une chose qu’ils avaient assurément en commun. »
L'avis de Charlotte
La beauté du roman transparaît à travers de courts chapitres au style épuré mais intense. Les dialogues sont bruts et suintent la poésie. L’atmosphère est lourde, presque pesante mais terriblement visuel, on voit le film se dérouler sous nos yeux, les scènes sont très cinématographiques. Il écrit page 98 que « certaines personnes projetaient une ombre plus longue mortes que vivantes.« .